Parmi les nombreux outils numériques adoptés par le secteur immobilier, les portails clients occupent une place de plus en plus stratégique. Pensés pour centraliser les informations et fluidifier les échanges entre locataires et gérances, ils offrent des bénéfices réels. Pourtant, leur adoption reste encore trop limitée. Pourquoi peinent-ils à s’imposer et comment en exploiter pleinement le potentiel ?
Les promesses des portails clients
Bien conçus, les portails clients permettent aux locataires d’accéder à tout moment à leurs documents administratifs – bail, état des lieux, relevé de compte – et de suivre facilement leurs demandes d’intervention. Cette traçabilité améliore la transparence et simplifie la communication avec la gérance.
Côté gestion, ces plateformes contribuent à automatiser certaines tâches, réduisant ainsi les erreurs et la charge administrative. En théorie, elles représentent un levier d’efficacité autant pour les régies que pour leurs clients.
Un déploiement à ne pas sous-estimer : retour d’expérience
Ayant participé au lancement d’un portail client, j’ai pu constater les défis liés à sa mise en place et à son adoption par nos clients. L’une des premières difficultés rencontrées est que, bien qu’une plateforme digitale offre des avantages évidents, ce service n’est pas un outil indispensable dans le quotidien de nos locataires. Beaucoup préfèrent encore interagir directement avec la gérance, convaincus que leurs demandes seront traitées plus rapidement par téléphone que via une plateforme en ligne. Un autre frein majeur réside dans l’impression, pour certains locataires, que le contact humain avec leur gérance est rompu. L’immobilier reste un domaine où la relation de confiance joue un rôle essentiel, et certains utilisateurs ont tendance à craindre de voir les interactions se déshumaniser. Par ailleurs, le fait que certains locataires doublent leurs démarches en effectuant une demande sur le portail puis en appelant l’agence pour s’assurer qu’elle a bien été prise en compte illustre bien cette méfiance. Ce comportement entraîne une charge de travail supplémentaire pour les gérances et met en lumière un point clé : si la réactivité de l’agence n’est pas optimale, le portail perd en crédibilité et en efficacité.
Un autre défi que nous avons rencontré est la diversité du public cible. Un locataire jeune et habitué aux outils numériques adoptera plus facilement la plateforme qu’un retraité de 80 ans qui n’a jamais utilisé ce type d’interface. Adapter le portail et la communication à des profils aussi variés est un véritable enjeu pour favoriser une adoption généralisée. De plus, la transparence souhaitée avec les locataires a un coût : si nous mettons à disposition un suivi détaillé des demandes et interventions, cela signifie que nous devons être irréprochables dans notre gestion. Chaque retard ou erreur devient immédiatement visible, ce qui peut renforcer les tensions plutôt que d’améliorer la relation avec les locataires. Un autre débat interne récurrent concerne le degré de simplification des démarches qu’il faut proposer au locataire. Doit-on lui permettre de contester une facture en un clic ? De déposer une réclamation sans effort ? De résilier son bail en quelques secondes ? Ces questions suscitent des discussions au sein de la régie, car un équilibre doit être trouvé entre la facilitation des démarches et la nécessité de maintenir un cadre structuré pour éviter des abus ou des complications administratives.
Pourquoi ces outils peinent-ils parfois à s’imposer ?
Malgré leurs avantages évidents, plusieurs projets de portails clients se sont soldés par des échecs. Les différents défis précédemment évoqués n’ont pas été identifiés ou traités correctement et les gérances n’ont vu là qu’un projet informatique supplémentaire sans prendre en compte l’aspect humain. Tout d’abord au sein même des gérances, les collaborateurs peuvent ressentir une pression face à l’arrivée d’un nouveau canal de communication. Ils ont parfois le sentiment que leur charge de travail augmente, alors qu’il s’agit en réalité d’un déplacement des sollicitations : des appels téléphoniques vers des tickets numériques.
Pour que ce changement soit bien vécu, il est essentiel d’accompagner les équipes, de les impliquer dans le processus et de leur montrer les bénéfices à moyen terme — notamment en matière de traçabilité, de priorisation et d’organisation. Ensuite, la réticence au changement chez les locataires joue un rôle important. Nombreux sont ceux qui préfèrent garder leurs anciennes pratiques, considérant ces outils comme une contrainte supplémentaire plutôt qu’un gain en efficacité. Enfin, certains portails sont mal conçus ou inadaptés aux besoins réels des utilisateurs, ce qui nuit à leur adoption. Une ergonomie peu intuitive ou des fonctionnalités trop rigides peuvent décourager les utilisateurs dès leurs premières tentatives de connexion.
Comment améliorer leur adoption ?
Tout d’abord, il est important d’impliquer les collaborateurs de la gérance dès les premières phases de réflexion afin de correctement cerner les attentes et les besoins concrets des utilisateurs. Le portail ouvrira un nouveau canal de communication et il est indispensable que les principaux concernés adhèrent au projet dès le début et comprennent la plus-value que celui-ci leur apportera. Cette approche collaborative est capitale pour proposer une version finale qui non seulement répond aux attentes des utilisateurs, mais qui s’intègre aussi efficacement dans le fonctionnement quotidien de la gérance. Ensuite, le portail doit être adapté aux besoins des clients externes. De nombreux tests doivent être réalisés avec des panels d’utilisateurs diversifiés afin d’identifier les points d’amélioration et d’adapter l’interface pour garantir une utilisation fluide et intuitive. L’utilisation du portail doit être plus simple, plus rapide et plus efficace que de devoir téléphoner à son gérant. Il est également crucial de proposer des fonctionnalités pertinentes et évolutives, en phase avec les besoins des locataires. Un portail attractif et utile sera naturellement davantage utilisé. Pour favoriser l’utilisation des portails clients, plusieurs leviers doivent également être activés. Une communication simple et percutante est essentielle. Le recours au portail doit devenir un réflexe aussi naturel que de consulter son solde bancaire en ligne. Qui, aujourd’hui, appelle encore sa banque ou se rend au guichet pour connaître cette information ?
Un potentiel encore à révéler
Les portails clients représentent une véritable avancée pour fluidifier la gestion immobilière et améliorer l’expérience des locataires. Néanmoins, leur adoption demeure encore timide, freinée par des habitudes bien ancrées, un manque d’information et des résistances internes. Pourtant, le potentiel de ces outils est immense. S’ils sont bien pensés, testés avec rigueur et accompagnés d’un vrai travail de communication et d’appropriation, ils peuvent devenir bien plus qu’un simple outil de consultation : un véritable canal de confiance, moderne, transparent et efficace entre la gérance et ses clients. Il ne s’agit pas seulement de digitaliser pour digitaliser, mais de repenser les interactions, de gagner en fluidité, en traçabilité et en professionnalisme. C’est à ce prix que les portails clients pourront réellement transformer la relation client dans le secteur immobilier suisse.